Cet endroit va reprendre l'avancé d'un projet autour du ROUGE entamé depuis plusieurs années.
Un travail autour de la couleur, du langage et du contexte.
L'oeuvre, créée en 2006 pour la nuit des musées au Centre Historique Minier de Lewarde à l'occasion du centenaire de la catastrophe minière de Courrières, cinq lettres indépendantes en volume et en acier, cherchent à interroger les rapports entretenus entre langage et espace, le mot et le lieu, ainsi que la cristallisation des sens convoqués par le mot posé.
Le déplacement de l'oeuvre devient une narration en elle-même, l'oeuvre -les lettres d'acier étant creuses- se charge des lieux traversés, de leurs histoires, un instant portées, convoquées.
La multiplicité des tons rouges obtenus sur ce mot monochrome, "ROUGE" en rouge, pose la question du langage comme fixateur du mouvement entamé par la couleur. Le mot fige la couleur, ainsi abstraite. Le monochrome, tel que Klein le pratiqua, est une définition sensible d'une couleur, à plat. Mais pas que. toute reproduction de cette couleur est un acte communicatif, langagier, ceci n'est pas un bleu. Bertrand Lavier perpétue et met à plat, comparatif, là où Klein est immersion, il interroge la nomination de la couleur, nom & marque. Man gave name to all the animals... Mon travail avance dans cette lisière, me place dans une certaine continuité, en abordant avec le volume du mot, la question de la couleur sous l'angle de la lumière. S'offrant à différents angles de la lumière.  Qui plus est, elle aussi, changeante. Un élément variable de contexte. Une lumière du jour tapant sur les lettres fournit au moins trois rouges différents selon l'inclinaison de celle-ci. Les parts d'ombres créées tirent la tonalité de la couleur vers le sombre, une lumière directe l'écrase vers l'orange. Cette complexité doit être réduite, cernée à un mot, stygmate: "ROUGE".

Le mot réduit l'expérience pour l'envoyer dans les tuyaux de la communicabilité, dans l'instant d'élocution, linéaire, dont le format est souvent limité, communication avec d'autres, mais aussi avec soi: l'expérience, sentie, ressentie, subit une tentative de compréhension, de formalisation langagière qui permet de la partager (de partager sa réception, et non l'émotion, à moins que le partage ne permette d'ouvrir ce que le langage ferma, de redonner par les mots, l'échange, son mouvement premier de propagation). Les mots (certains) stoppent ce mouvement constant ( une sortie de la neutralité contemplative par un mot éclos dans le cerveau, engageant son fil de pensées, une linéarite, et la narration de paire). Cette sortie permet de se concentrer, agir, reduire le tout à un ou deux élèment qui permettent la mise en place d'actions collectives, une tension commune, mise en phase, pour se retrouver, un accord, une identité, et agir. La fermeture ( limitation du 360° à un faisceau) permet de faire travailler une force sur un point précis. Cette fermeture par le langage permet de changer de mode, on passe de l'expérience ressentie à une expérience "comprise" ( dans le sens de cum-prendere, prendre-en-soi, cette expérience qui pourtant l'est déjà, en soi. Le langage permet la fixation ( stèle, commémoration, récits, bio...) et devient le socle ( mot important que je paye double, emprunter à la sculpture...) le socle d'une société ainsi possible.
 L'interrogation des rapports créés par l'expérience de la couleur et sa verbalisation ( la couleur étant définissable uniquement par la comparaison, elle échappe presque à une définition autonome... rouge... "comme le sang, comme le feu, comme le coquelicot"... sa perception étant également propre à chaque individu, sa culture, une réalité multiple se trouve cantonnée derrière un vocable commun: le mot "rouge".  Il n'en faut pas plus. Un mot suffit. Celui-là est très bien. ROUGE. Pour se pencher sur la question de l'en-deçà du langage, de ce qui existe juste avant la mise en forme en mots ( la couleur ? ). Mais aussi de l'après, de ce que le mot amène, presque indépendamment de ce qu'il représente, porte en lui-même, de par sa sonorité, ses lettres, selon les langues, les cultures, les régions, créant ainsi ( en plus de l'expérience colorée étiquettée) un second système, hautement riche, de référents multiples et d'associations complexes.  

Cet endroit -site- va reprendre l'historique des occurrences du "ROUGE", ses différents "états" ( pour reprendre un terme de gravure, et souligner la pratique d'"impression sur paysage" ). Phases de recherches entamées pour l'élaboration d'un projet lié à la couleur, au paysage, à l'histoire, l'identité nationale, aux fleuves, et à un simple déplacement comme constitution d'une oeuvre.

"Rouge (état#1)", Nuit des Musées, Centre Historique Minier de Lewarde. Commémoration de la Catastrophe de Courrières.
"Rouge Opéra", projet proposé à l'Opéra de Lille, non réalisé.
"Rouge Garance", exposition collective "Amnésia".

Rouge, état #1.

Nuit des Musées, Centre Historique Minier de Lewarde. Mars 2006.
Commémoration de la Catastrophe de Courrières, 10 mars 1906.

Le ROUGE était la couleur qui symbolisait le mieux le souvenir de la catastrophe. Rouge sang, versé. Dans les veines.Rouge feu, la catastrophe est due, non à un coup de grisou, mais un "coup de poussières" propageant le feu. Dans les veines. La plupart des mineurs sont immédiatement brûlés ou asphyxiés par les nuées toxiques qui se succèdent à la flamme. 1697 mineurs venaient de descendre au fond, moins de 600 remontèrent à la surface. Une expression avait retenu mon attention à l'époque, les houillères avait décidé de "murer le feu". C'est à dire bloquer l'arrivée d'oxygène dans les galeries pour étouffer le feu. Et sauver la veine.
Un choix, non pas divin, mais humain, de la direction économique du site: condamner les survivants au fond pour espérer sauver le gisement, murer le feu et empêcher le charbon de brûler... sauver une richesse géologique irremplaçable contrairement à la main d'oeuvre...
Rouge colère. Manifestations. Soulèvements. Femmes et enfants attendant à la grille de la fosse, espérant le retour d'un proche, sa remontée au jour.
Le 30 mars, après avoir erré pendant 20 jours, treize mineurs surgissent à l'air libre. Un quatorzième, quatre jours plus tard.

Un très bon livre existe aux éditions de l'oeil d'or "la catastrophe des mines de Courrières", il reprend les témoignages des survivants et surtout les enjeux médiatiques de la catastrophe, les contrats signés avec les rescapés selon leurs opinions politiques, interrogeant les rapports entre les fictions personnelles de chaque rescapé, la construction d'histoires séparées, les traductions individuelles de l'événement ainsi que la construction de l'Histoire....

Il reste deux "éclats" personnels, répertoriés ici, de l'installation.
éclat #1
éclat#2